De ses premières excursions réellement flamandes, Victor Hugo retiendra d’abord, par dessus toutes les villes vues, Anvers, « arc tendu dont l’Escaut serait la corde ». Vous vous souvenez aussi qu’il voyait, on l’a évoqué déjà, des flamands partout, en Belgique.

Dans ses pérégrinations, il devenait dès lors inéluctable qu’il en croisa, de vrais. Suivons-le à Anvers, pour lui donner raison, et puisque c’est son premier choix. Anvers est, pour Victor, un tourbillon. Il écrit à Adèle, le 28 août : Je suis arrivé hier ici à dix heures du matin. Depuis ce moment je cours d’église en église, de chapelle en chapelle, de tableau en tableau, de Rubens en Van Dyck. Je suis épuisé d’admiration et de fatigue.
C’est d’Anvers qu’Hugo a, ou croit avoir cette vision qui semble embrasser la Flandre : « Je voyais, du même regard, devant moi la mer et Flessingue à vingt-deux lieues, à gauche la Flandre et les tours de Gand, à droite la Hollande et la flèche de Bréda, derrière moi le Brabant et le clocher de Malines ; puis l’Escaut, les polders inondés, une prairie de cinq lieues de tour changée en lac, à droite une autre prairie toute verte et scintillante de

maisons blanches ; à mes pieds les quelques toits de la tête de Flandre bloqués par l’eau; sous moi Anvers, qui est, au dix-neuvième siècle, comme était Paris au

seizième, un amas magnifique d’églises et d’hôtels, de toits taillés, de pignons contournés, de clochers carrés et pointus, avec mille accidents de tourelles et de façades étranges; de grosses vieilles maisons amusantes, qui sont la Boucherie, qui sont la Draperie, qui sont la Bourse; un devant d’hôtel de ville qui ressemble à une architecture de Paul Véronèse, un portail d’église qui ressemble à un fond de Rubens et qui est de Rubens; mille voiles sur l’Escaut, dans un coin du paysage le chemin de fer où disparaissait un convoi de wagons, près du chemin de fer une grande étoile de gazon couchée à plat sur le sol qui est la citadelle, enfin au-dessus de tout cela un ciel de nuages déchiquetés comme dans Albert Dürer avec un beau rayon de pluie qui tombait au loin ; voilà ce que je voyais hier, en regrettant que vous ne le vissiez pas. »
A suivre
Bernard Chateau