Bords de Meuse

« Les bords de la Meuse sont beaux et jolis. Il est étrange qu’on en parle si peu.»

« […] Après Dinant, la vallée s’ouvre, la Meuse s’élargit; on distingue sur deux croupes lointaines de la rive droite des châteaux en ruine, puis la vallée s’évase encore, les rochers n’apparaissent plus que çà et là sous de riches caparaçons de verdure; une housse de velours vert, brodée de fleurs, couvre tout le paysage. De toutes parts débordent les houblonnières, les vergers, les arbres qui ont plus de fruits que de feuilles, les pruniers violets, les pommiers rouges, et, à chaque instant, apparaissent par touffes énormes les grappes écarlates du sorbier aux oiseaux, ce corail végétal. » … « Les maisons de plaisance commencent à se mêler aux logis des paysans, les villas aux villages, les statues au rocher, les parcs anglais aux houblonnières, et sans trop de trouble et de désaccord, il faut le dire. »

Mais, pour être franc, Victor Hugo a plutôt l’attention attirée – et vivement -, peu avant Namur, par « deux ou trois grandes belles filles ravageant un prunier de haute taille, et [dont] l’une d’elles était perchée sur le gros bras de l’arbre dans une attitude gracieuse où les passants étaient si parfaitement oubliés qu’elle donnait aux voyageurs de l’impériale je ne sais quelles vagues envies de mettre pied à terre. »

Seulement ? Et ceci peut-il expliquer cela? C’est-à-dire la vision qu’a Victor Hugo peu après « d’une Vénus de Médicis se cachant à demi dans les feuilles […], derrière la grille dorée d’une villa […], comme honteuse et indignée d’être vue toute nue par des paysans flamands attablés autour d’un pot de bière».

Ainsi, une fois de plus, pour Hugo, ils sont tous flamands, ces belges! Même en bord de Meuse…

Mais on voit aussi par là qu’il est des cadres, plus champêtres, où l’oeil, qui tendait si bien à se porter sur tout ce qui est architectural et sculptural, dans les villes, abandonne sans déplaisir la pierre et où l’être cesse d’être de marbre, jusque dans ses écrits. On sait bien que Victor Hugo, s’il savait manier les mots, n’était pas insensible à “la chose”. On n’hésite pas à évoquer un ogre sexuel. Le très sérieux Henri Guillemin, a du reste consacré un essai “Hugo et la sexualité“, chez Gallimard.

C’est qu’il est des “suffocations” qu’il faut bien pouvoir soulager… Et on sait combien Hugo était sujet à ce genre d’étouffements, qui le prenait parfois plusieurs fois par jour… Il ne manque pas d’en tenir les comptes dans ses papiers intimes, riches d’indications minutieuses, parfois codées, et de détails. Ces papiers intimes, comme quelques vers libertins, laissés sans suite sur des bouts de papier, il les dépose, avec toutes ses archives, à la Bibliothèque Nationale, sachant que ce dépôt-même les mettra à la connaissance de tous.

exposition Eros HUGO. Entre pudeur et excès.
exposition Eros HUGO. Entre pudeur et excès.

De quoi nourrir, fin 2015, à Paris, à la Maison de Victor Hugo, une exposition «Eros-Hugo – Entre pudeur & excès», “un bain de jouvence esthétique et épicurien dans un monde de lettres et de passions” où les croquis du poète n’ont plus rien de commun avec les pignons d’abbayes ruinées… ” Ce qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie “, écrit Hugo en 1876.

De même il aura été précis dans l’organisation de sa maison, pour que la disposition de sa “tanière” puisse faciliter tout cela. Et notamment à Bruxelles, chez son fils, Place des Barricades, lorsqu’il y loge, ce qui irritait fort sa belle-fille Alice. En raison de ses suffocations, sa chambre doit être contigüe à une autre où quelqu’un couche et dont la porte puisse, au besoin, rester ouverte; il s’excuse de cette petite scie que sa santé impose, bien malgré lui, à son entourage.

Des aménagements qui semblaient laisser sa femme, Adèle, assez indifférente, ou résignée, mais qu’il avait soin de dissimiler autant que possible à Juliette Drouet.

Comment Adèle a-t-elle reçu sa du lettre du 22 novembre 1865 lorqu’il lui faisait savoir non sans malice qu’il prenait grand soin de suivre ses recommandations, alors qu’elle n’est plus guère à Guernesey, dans le recrutement de son personnel de maison. Ainsi, la servante qui remplacera Virginie sera un peu élégante et pas bigote. Tu vois, que je vais au devant de tes souhaits

A suivre

Bernard Chateau

Accueil » Victor Hugo et la Belgique (7). Deuxième partie: Hugo visits les bords de Meuse et rêve d’autres rives.