Liège

Nous sommes le 4 août 1838. Il pleuvait à verse quand Victor Hugo découvre, un peu par hasard, le Palais des Princes Evêques.

Un heureux hasard m’a fait découvrir cette carte postale ancienne, d’après une gravure de 1833: elle est donc contemporaine de la description que fait Victor Hugo de la cour du Palais des Princes Evêques.

Mais écoutons Victor Hugo.

Liège. Palais des Princes Evêques en 1833. Carte postale ancienne d'après S.Prout. Vendue au profit des "Asiles des soldats invalides belges" - "Centres de récréation au front belge".
Liège. Palais des Princes Evêques en 1833. Carte postale ancienne d’après S.Prout. Vendue au profit des “Asiles des soldats invalides belges” – “Centres de récréation au front belge”.

Le Palais des Princes Evêques

« Comme j’allais de Saint-Denis à Saint-Hubert par un labyrinthe d’anciennes rues basses et étroites, ornées çà et là de madones au-dessus desquelles s’arrondissent comme des cerceaux concentriques de grands rubans de fer blanc chargés d’inscriptions dévotes, j’ai coudoyé tout à coup une vaste et sombre muraille de pierre percée de larges baies en anse de panier et enrichie de ce luxe de nervures qui annonce l’arrière-façade d’un palais du Moyen Age. Une porte obscure s’est présentée, j’y suis entré, et, au bout de quelques pas, j’étais dans une vaste cour.

Liège La cour principe du Palais des Princes Evêques
Liège La cour principe du Palais des Princes Evêques

Cette cour, dont personne ne parle et qui devrait être célèbre, est la cour intérieure du palais des Princes ecclésiastiques de Liège. Je n’ai vu nulle part un ensemble architectural plus étrange, plus morose et plus superbe.

Liège  Le Palais des Princes Evêques
Liège Le Palais des Princes Evêques


Ce grave édifice est aujourd’hui le palais de Justice. Des boutiques de libraires et de bimbelotiers se sont installées sous toutes les arcades. Un marché aux légumes se tient dans la cour. On voit les robes noires des praticiens affairés passer au milieu des grands paniers pleins de choux rouges et violets. Des groupes de marchandes flamandes réjouies et hargneuses jasent et se querellent devant chaque pilier; des plaidoiries irritées sortent de toutes les fenêtres; et dans cette sombre cour, recueillie et silencieuse autrefois comme un cloître dont elle a la forme, se croise et se mêle perpétuellement aujourd’hui la double et intarissable parole de l’avocat et de la commère, le bavardage et le babil. »

La Cathédrale Saint-Paul

Victor Hugo admire encore la cathédrale Saint-Paul :

« la noble nef du xve siècle, accostée d’un cloître gothique et d’un charmant portail de la Renaissance sottement badigeonnés, et surmontée l’un clocher qui a dû être

Liège La cathédrale Saint-Paul
Liège La cathédrale Saint-Paul

fort beau, mais dont quelque inepte architecte contemporain a abâtardi tous les angles, honteuse opération que subissent en ce moment sous nos yeux les vieux toits de notre hôtel de ville de Paris ».

Fureur de l’industrie de Monsieur Cockerill

Mais Liège, c’est la sidérurgie, déjà. Et là, c’est réellement une découverte pour Victor Hugo :

Quand on a passé le lieu appelé la Petite-Flémalle, la chose devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée d’étincelles; d’autres dessinent lugubrement sur un fond rouge la noire silhouette des villages ; ailleurs les flammes apparaissent à travers les crevasses d’un groupe d’édifices. On croirait qu’une armée ennemie vient de traverser le pays, et que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de l’incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres flamboyants.

Seraing la Société Cockerill
Seraing la Société Cockerill
Seraing - Société John Cockerill - Fours et Laminoirs
Seraing – Société John Cockerill – Fours et Laminoirs

Ce spectacle de guerre est donné par la paix; cette copie effroyable de la dévastation est faite par l’industrie. Vous avez là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill. Un bruit farouche et violent sort de ce chaos de travailleurs. J’ai eu la curiosité de mettre pied à terre et de m’approcher d’un de ces antres. Là, j’ai admiré véritablement l’industrie.

société John Cockerill - centrale électrique
société John Cockerill – centrale électrique

C’est un beau et prodigieux spectacle, qui, la nuit, semble emprunter à la tristesse solennelle de l’heure quelque chose de surnaturel. Les roues, les scies, les chaudières, les laminoirs, les cylindres, les balanciers, tous ces monstres de cuivre, de tôle et d’airain que nous nommons des machines et que la vapeur fait vivre d’une vie effrayante et terrible, mugissent, sifflent, grincent, râlent, reniflent, aboient, glapissent, déchirent le bronze, tordent le fer, mâchent le granit, et, par moments, au milieu des ouvriers noirs et enfumés qui les harcèlent, hurlent avec douleur dans l’atmosphère ardente de l’usine, comme des hydres et des dragons tourmentés par des démons dans un enfer. »

A suivre

Bernard Chateau

Accueil » Victor Hugo et la Belgique (9). Deuxième partie: Hugo visits Liège. Et découvre la sidérurgie.