Wallonie Picarde: Tournai, Beloeil

Waterloo avait une part toute spéciale pour Victor Hugo. Vous l’aurez constaté.

Mais il est temps d’entamer réellement la découverte des villes et des paysages. Commençons par le sud du pays, d’ouest en est. Et d’abord le Hainaut occidental, nouvellement dénommé Wapi, à l’heure des acronymies pour “Wallonie Picarde”, qu’on a appelé aussi le “Tournaisis“, du nom de la ville: Tournai.

Tournai

Tournai - le beffroi
Tournai – le beffroi

Le 26 août 1837, Hugo s’arrête à Tournai et écrit à sa femme : « Tournai doit tenir son nom des tours dont elle est couverte. La cathédrale seule a cinq clochers. C’est une des plus rares églises romanes que j’aie vues. Il y a dans l’église un admirable Jugement dernier de Rubens, et un magnifique reliquaire d’argent doré, énorme, massif, et travaillé en bijou. Les deux portails latéraux de l’église sont du byzantin le plus beau et le plus curieux.
Toute cette ville est d’un immense intérêt.
Hier soir, comme c’était la Saint-Louis, le beffroi, superbe tour presque romane, était illumine de lanternes de couleur, bariolage charmant et lumineux que commentait le carillon le plus bavard et le plus amusant du monde. Une symphonie de lanciers belges répondait de la place d’Armes à ce vacarme aérien. Toutes les cloches étaient en mouvement, et toutes les femmes aussi. Toute cette vieille ville, ainsi livrée à ce joyeux babil de fête, était ravissante à entendre et à voir. Je me suis promené longtemps dans une rue sombre, regardant les cinq aiguilles géantes de la cathédrale, qu’éclairait vaguement la réverbération du beffroi illuminé. »

33 beffrois belges sont inscrits sous le nom de Beffrois de Flandre et de Wallonie au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Édifice abritant les cloches communales, conservant chartes et trésors, accueillant les réunions échevinales, servant de tour de guet et de prison, le beffroi est, au fil des siècles, devenu le symbole de la puissance politique et de la prospérité des communes. Le beffroi de Tournai côtoie ainsi dans cette liste les beffrois de Mons, de Binche, de Charleroi, de Thuin, de Gembloux et de Namur. Vingt-trois beffrois, situés dans le nord de la France ont complété la liste des symboles du pouvoir communal apparus entre le XIe et le XVIIe siècle.

Tournai - la ville et la cathédrale
Tournai – la ville et la cathédrale

Et Puis : « Avant de quitter Tournay, j’ai été revoir la cathédrale qui est vraiment d’une rare beauté. C’est une église romane presque comparable à celle de Noyon!, et qui a de plus que Noyon, un ravissant jubé renaissance tout en marbre de diverses couleurs avec deux étages de bas-reliefs, l’un de l’ancien, l’autre du nouveau Testament, lesquels s’expliquent fort curieusement, ceux d’en bas par ceux d’en haut, le symbole par la prophétie par l’accomplissement, Isaac portant le bois de son par Jésus portant sa croix, Jonas dévoré par la baleine et revomi au bout de trois jours par Jésus descendant au tombeau et en ressortant aussi le troisième jour, &c — tout ce jubé est fouillé du ciseau le plus tendree er le plus spirituel. C’est une antique ville que Tournai. Presque toutes les églises onzième au treizième siècle. J’y ai vu des maisons romanes ».

Edifiée dans la première moitié du XIIe siècle, la cathédrale de Tournai se distingue par l’ampleur de la nef romane, la grande richesse sculpturale de ses chapiteaux et par un transept chargé de cinq tours annonciatrices de l’art gothique. Reconstruit au XIIIe siècle, le chœur est de pur style gothique. On a célébré il n’y a guère le 850° anniversaire de l’édifice, inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, figurant parmi les premiers biens classés en Belgique, et inscrit sur la liste du patrimoine exceptionnel de Wallonie.

Par son approche intuitive de la toponymie de Tournai, Victor Hugo rejoint un historien du XVIII° qui, dans son Histoire générale de Pays-Bas, suggérait que Tournai devait son nom aux nombreuses tours qu’on y voyait, mais au temps où la ville était la capitale des Nerviens. Vous verrez que la chose est bien plus complexe.

Beloeil

A ‘in cô d’ chôlette“, autrement dit, tout à côté, Beloeil, connu surtout pour son château, résidence des Princes de Ligne. On ajouera que parmi les beloeilloises et le beloeillois, on compte deux comédiennes célèbres: Christiane Lenain, qui a fait les beaux jours du Théâtre Royal du Parc – on y reviendra, et Emilie Dequenne. Mais cette évocation nous éloigne de notre propros, davantage que le nom d’Edouard Louis Joseph Empain, général et riche industriel belge, né en 1852.

Beloeil - le château (la pièce d'eau Neptune)
Beloeil – le château (la pièce d’eau Neptune)
Beloeil. Le château avant l'incendie de décembre 1900.
Beloeil. Le château avant l’incendie de décembre 1900.

Belœil, qu’il visite en 1864, ne suscite qu’un enthousiasme… compté, pondéré, de fait, de quelques touches critiques. « De très belles eaux, trop stagnantes pourtant, et de beaux arbres. Deux admirables tilleuls en entrant; deux chimères de blason, en marbre superbe, un lion et un griffon.

Beloeil. Le château après l'incendie de décembre 1900.
Beloeil. Le château après l’incendie de décembre 1900.

Le château est un vieux donjon à quatre tours, abâtardi en château Louis XIV. Les statues sont peu nombreuses et mauvaises. Détestable groupe de Neptune au bout de la grande pièce d’eau. Neptune badigeonné en jaune.

Les amoureux du lieu se consoleront en se souvenant du vers du poète français Delille, qui y logea: “Belœil, tout à la fois magnifique et champêtre“. Et du faste du château de Belœil, embelli par le
prince Charles-Joseph, qui y donna fréquemment des fêtes splendides au XVIII° siècle . “Il était alors une des résidences les plus célèbres de l’Europe. Le prince y reçut l’empereur Joseph II, lorsqu’il visita la Belgique, en 1781. Charles de Lorraine, le gouverneur général des Pays-Bas, s’y rendait souvent aussi. Non seulement le prince y tenait table ouverte, c’est-à-dire qu’une fois présenté, on pouvait arriver sans invitation pour passer la journée, mais il y avait un certain nombre d’appartements toujours prêts â recevoir les visiteurs inattendus. On y jouait souvent la comédie, et le prince aussi réclamait son rôle ; mais s’il donnait aux autres de bons conseils, il jouait fort mal lui-même”, rapporte Alphonse Wauters. dans la Nouvelle Biographie Nationale.

Mais revenons à Victor Hugo et à ses impressions: Revu de dos le prince de Ligne après dix-sept ans; il rentrait suivi de deux chiens, à pied, en long paletot. Il a l’air fort invalide. Il a soixante ans», écrit-il encore.

Il s’agit du Prince Eugène Ier François Charles Lamoral, 8e prince de Ligne, né le 28 janvier 1804. S’il fut proposé au trône de Belgique en 1831, il se fâcha fort avec la Belgique, au point de la quitter. Mais Léopold Ier réussit à en faire un allié précieux et il revint, à temps, pour une carrière diplomatique et politique au service de la jeune Belgique. S’il fut favorable au roi Guillaume des Pays-Bas, il fut néanmoins ambassadeur de Belgique à Londres, à Paris et au Saint-Siège, sénateur et président du Sénat pendant 27 ans et ministre d’Etat.

Il était alors à la tête d’une importante fortune, essentiellement héritée de son grand-père, Charles-Joseph de Ligne, que son train de vie et sa prodigalité écorna. On ajoute “principes” de la Révolution française, qui passa par là.

Il a donc 60 ans quand Victor Hugo le voit, “fort invalide”. Lui, en avait alors 62 ans… Il mourut en 1880, à l’âge de 76 ans, à Bruxelles. Victor Hugo, cinq ans plus tard…

A suivre

Bernard Chateau,

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