Mons

Victor a visité Mons en 1837 et en 1864.

La Grand’Place

« Rien de plus charmant, sous un beau ciel clair et étoilé, que cette place si bien déchiquetée dans tous les sens par le goût capricieux du XVe s., et par le génie extravagant du XVIIe s. ; rien de plus original que tous ces édifices chimériques vus à cette heure fantastique.
De temps en temps, un carillon « ravissant» s’éveillait dans la grande tour. Puis c’était le son aérien et affaibli d’une trompe, deux soupirs seulement. Cette trompe, c’était la voix du guetteur de nuit. Moi, j’étais là, seul éveillé avec cet homme, ma fenêtre ouverte devant moi, avec tout ce spectacle, c’est-à-dire tout ce rêve, dans les oreilles et dans les yeux… Jamais le sommeil ne m’aurait donné un songe plus à ma fantaisie.

Une anecdote sur le lieu: c’est de cette place-même que le Prince Charles-Joseph de Ligne, qui a ses quartiers à Beloeil, qu’on vient de quitter, avait fait lancer un aérostat superbe, construit à ses frais, au mois d’avril 1784, alors que l’exploration du ciel en était encore à ses balbutiements et pour tout dire une vraie aventure…

Mais à propos de “carillon ravissant”, savez-vous que “la sauvegarde de la culture du carillon” en Belgique a été sélectionnée en 2014 sur le Registre de bonnes pratiques de sauvegarde par l’UNESCO? A Mons, 5 carillonneurs et carillonneuses se partagent aujourd’hui cette fonction, et proposent régulièrement des concerts.

Ainsi, Victor Hugo n’a pas tort lorsqu’il voit le carillon comme faisant partie intégrante du paysage de nos contrées, et notamment du patrimoine sonore du pays, depuis plusieurs siècles. Le plus gros instrument de musique au monde est ainsi vecteur de traditions et renferme tout un tas d’histoires et de secrets… parfois étonnants. L’association campanaire wallonne, asbl, a pour objet la sauvegarde, la promotion et la valorisation du patrimoine campanaire (carillons, cloches, mécanismes d’horlogerie de tours et tout ce qui s’y rapporte) de Wallonie, et de Bruxelles. Toutes tailles confondues, il existe actuellement sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles une soixantaine de carillons, automatiques et/ou manuels, totalisant plus de 1300 cloches. Ils sont généralement implantés dans des clochers ou beffrois dans les centres villes. Une vingtaine de ces carillons sont utilisables comme instruments de concert.

En plus de leur répertoire propre et des adaptations pour carillons, les carillons de cloches ont inspiré plusieurs musiciens à travers les époques. Ecoutez ici cette sarabande de Haendel. A Wavre, un Festival, Carillonnez-vous !, est proposé les vendredis de septembre.

Les fortifications

Revenons-en à Victor, à ses visions de Mons, et à son rêve…

Eh bien, ce rêve est fortifié, poursuit Victor Hugo. Mons est une citadelle; et une citadelle plus forte qu’aucune des nôtres. Il y a huit ou dix enceintes avec autant de fossés autour de Mons. En sortant de la ville, on est rejeté, pendant plus d’un quart d’heure, de passerelles en ponts-levis, à travers les demi-lunes, les bastions et les contrescarpes. Ce sont les Anglais qui ont mis cette chemise à la ville pour le jour où nous aurions le caprice de nous en vêtir. » Retenez bien cette dernière phrase: nous aurons l’occasion d’y revenir.

Cette réalité enviée et admirée par Victor Hugo vivait en réalité ses dernières années. Une loi votée en 1861 a autorisé la démolition des fortifications, dont les débuts remontent au XIII° siècle. Et Hugo se trompe bien évidemment – qui n’a pas ses a priori – en les attribuant… aux anglais. Toujours est-il que, quatre ans plus tard, les travaux de démolition étaient achevés. La ville a-t-elle gagné au change? Les boulevards périphériques enserrent plus certainement son coeur historique que les remparts, et les axes de pénétration donnent à voir les anciennes portes. Le plan initial a ainsi gardé toute sa lisibilité. C’est toujours ça…

Mais le résultat final? Cette ambition, qui visait à “libérer la ville de ses murs“, a été rattrapée par le culte du “tout à la voiture” et les remparts sont en effet devenus une autoroute urbaine bitumée. Faudrait-il faire le procès du passé récent, et regretter le passé plus lointain? C’est que le temps a passé, précisément, et le XIX° siècle ne voyait pas l’avènement de la voiture. Mais rien n’empêche de rêver à un Mons qui aurait été sauvé  par un Viollet-le-Duc. Il l’aurait sauvée d’elle-même, comme il aurait sauvé Charleroi, comme il a sauvé Carcassonne…

Les Casemates sont aujourd’hui l’une des dernières traces visibles de ce passé montois.

Sainte-Waudru

Mais il y a aussi Sainte-Waudru : « J’avais déjà vu à Mons une église belge, fort belle vraiment et du quatorzième siècle, Sainte-Waudru. L’intérieur de ces églises-là fait honte à nos cathédrales. C’est partout un luxe, un soin, un zèle, une propreté, un ameublement exquis de chapelles, un ajustement splendide des madones, qui indigne contre nos églises si sales, si nues et si mal tenues. Si ces braves Belges ne badigeonnaient pas aussi de temps en temps, on n’aurait qu’à admirer. Sainte-Waudru pourtant n’est pas barbouillée, mais Sainte-Gudule l’est. »

Mais décidément, Hugo a un intérêt particulier pour les lieux de culte et ici Sainte Waudru le comble, et il y revient, pour « [son] admirable nef et |ses] beaux vitraux. On a détruit un jubé de la Renaissance et on voit « çà et là les restes magnifiques dans les chapelles ». Ses « gargouilles nombreuses et originales sont les démons condamnés à faire le service des eaux sales de l’église ».

On a dit déjà ici ce que Sainte-Waudru devait au talent de Jacques du Broeucq, qui fit son exceptionnel jubé, entre 1534 et 1545, en marbre et albâtre. Il fut en effet détruit, comme le dit Hugo, mais à la fin du XVIIIe siècle, pendant la période révolutionnaire. En subsistent aujourd’hui, disséminés dans le chœur, les bras du transept et certaines chapelles de la carole et des bas-côtés de la nef, ainsi que dans une salle du trésor.

A suivre

Bernard Chateau

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