Villers-la-Ville (l’Abbaye).

Villers-la-Ville. L'Abbaye.
Villers-la-Ville. L’Abbaye.

Parmi les destinations de prédilection de Victor Hugo dans nos contrées, il y a Villers-la-Ville, et son abbaye. Une abbaye cistercienne fondée en 1146 par Saint Bernard de Clairvaux, sur les bords de la Thyle. On l’y vit ainsi au moins à 5 reprises entre 1861 et 1869 et il logeait à l’Hôtel-restaurant Dumont, dans la petite suite de de l’établissement. Il y fut avec son fils, avec Juliette. Des amis.

Il aurait même eu le projet de s’y installer pour achever l’écriture des “Misérables ”. Mais si la Belgique est propice au

« changement d’air [qui] a fait merveille, et [grâce auquel] je ressuscite... »,

comme il l’ écrira à son fils, l’humidité qui recouvre Villers est d’une toute autre nature et c’est Waterloo qu’il choisira pour achever son ouvrage.

Mais Villers-la-Ville l’inspire pour les Misérables, et c’est bien de Villers dont il est question quand il écrit :

Villers-la-Ville. L'abbaye.
Villers-la-Ville. L’abbaye.

«L’auteur de ce livre a vu, de ses yeux, à huit lieues de Bruxelles, c’est là du Moyen Âge que tout le monde a sous la main, à l’abbaye de Villers, le trou des oubliettes au milieu du pré qui a été la cour du cloître, et, au bord de la Dyle, quatre cachots de pierre, moitié sous terre, moitié sous l’eau. C’étaient des in-pace. Chacun de ces cachots a un reste de porte de fer, une latrine, et une lucarne grillée qui, dehors, est à deux pieds au-dessus de la rivière, et, dedans, à six pieds au-dessus du sol. Quatre pieds de rivière coulent extérieurement le long du mur. Le sol est toujours mouillé. L’habitant de l’in-pace avait pour lit cette terre mouillée… Dans l’un des cachots, il y a un tronçon de carcan scellé au mur; dans un autre, on voit une espèce de boîte carrée faite de quatre lames de granit, trop courte pour qu’on s’y couche, trop basse pour qu’on s’y dresse. On mettait là-dedans un être avec un couvercle de pierre par-dessus. Cela est. On le voit. On le touche. Ces in-pace , ces cachots, ces gonds de fer, ces carcans, cette haute lucarne au ras de laquelle coule la rivière, cette boîte de pierre fermée d’un couvercle de granit comme une tombe, avec cette différence qu’ici le mort était un vivant, ce sol qui est de la boue, ce trou de latrines, ces murs qui suintent, quels déclamateurs!»

Villers-la-Ville. L'Abbaye.
Villers-la-Ville. L’Abbaye.

Un an plus tard, de retour sur le site, Victor Hugo constatera que «la boîte de pierre à mettre les hommes » n’y est plus. La parution des “Misérables ” qui la dénonçait n’y est, selon lui, pas étrangère. 

« Villers, 4 septembre 1862. Vu les cachots de l’abbaye sur la Dyle : la boîte à mettre les hommes n’y est plus.. des débris des dalles plates encombrent l’angle gauche du quatrième cachot où elles étaient. Monsieur Dumont, questionné par moi, me dit que des ouvriers inconnus ont brisé cette chose au mois de mars dernier. Ne serait-ce pas plutôt au mois de juin ? La chose était dénoncée dans Les Misérables. Il était bon de la faire disparaître. »

Et Villers-la-Ville n’est pas loin non plus lorsqu’il écrit “Dans les ruines d’une abbaye“, qui figure dans son recueil “les chansons des rues et des bois“, de 1865:

Seuls tous deux, ravis, chantants !
Comme on s’aime !
Comme on cueille le printemps
Que Dieu sème !

Quels rires étincelants
Dans ces ombres,
Pleines jadis de fronts blancs,
De coeurs sombres !

On est tout frais mariés.
On s’envoie
Les charmants cris variés
De la joie.

Purs ébats mêlés au vent
Qui frissonne !
Gaietés que le noir couvent
Assaisonne !

On effeuille des jasmins
Sur la pierre
Où l’abbesse joint les mains
En prière.

Les tombeaux, de croix marqués,
Font partie
De ces jeux, un peu piqués
Par l’ortie.

On se cherche, on se poursuit,
On sent croître
Ton aube, amour, dans la nuit
Du vieux cloître.

On s’en va se becquetant,
On s’adore,
On s’embrasse à chaque instant,
Puis encore,

Sous les piliers, les arceaux,
Et les marbres.
C’est l’histoire des oiseaux
Dans les arbres.

Villers-la-ville. L'Abbaye.
Villers-la-ville. L’Abbaye.

Lors de l’un de ses passages, il découvrirait un graffiti signé… Victor Hugo. Un graffiti qui dénonçait le scandale des dégradations portées au patrimoine par les nombreux graffiti qu’on y gravait. Le procédé n’était pas peut paradoxal.

Mais certains n’hésitent pas à le lui attribuer. Apocryphe ou pas? Les experts se disputent. Mais la relation de l’époque au graffiti est très différente de notre lecture contemporaine.

Veni, vidi, flevi.
O fats ! Sots parvenus ! O pitoyable engeance
Qui promenez ici votre sotte ignorance
Et votre vanité
Cessez de conspuer cette admirable ruine
En y bavant vos noms qui, comme une vermine
Souillent leur majesté.

Et il convient pourtant de se remettre dans la mentalité de l’époque, où le graffiti est un mode d’expression assez ordinaire et il n’est pas étonnant qu’on ait pu le lui attribuer. D’ailleurs, Hugo y a puisé largement pour nourrir son oeuvre et assume largement s’y être abandonné.

En mai 1825, il visite Chambord en amoureux avec Adèle. Il écrit à son ami l’écrivain Souillay de Saint-Valry :

« J’ai visité hier Chambord… J’ai gravé mon nom sur le faîte de la plus haute tourelle, j’ai emporté une des pierres et de la mousse de ce sommet, et un morceau de châssis de la croisée sur lequel François Ier a inscrit les deux vers :
Souvent femme varie
Bien fol est qui s’y fie ».

On a dit, et Tallemant des Réaux l’a repris, que l’inscription sur la vitre
de sa chambre était de la main du roi… En tout cas, Hugo récupéra ces vers
pour les insérer dans Marie Tudor et les placer dans la bouche de Simon Renard.

Villers-la-Ville. L'abbaye.
Villers-la-Ville. L’abbaye.

A Villers, Victor Hugo réalisa encore quelques croquis, dont l’église, et trois de l’Abbaye, dont un à la mine de plomb, conservé à la Bibliothèque nationale de France. Un croquis représente un pignon de l’abbaye, lors de sa visite du 3 septembre 1862. Lors de son voyage d’août 1867 à Villers, il dédicacera des photographies des ruines de l’abbaye à son fils François-Victor.

Alors, quoi de plus normal qu’une exposition « Victor Hugo à Villers-La-Ville » y fut organisée en 2015.

Car Victor Hugo est essentiel dans la curiosité des ruines de Villers par les écrivains, les peintres, les graveurs, les lithographes, les dessinateurs. Le site va attirer, à sa suite, de prestigieuses personnalités princières et royales issues de plusieurs pays. Parmi elles, le roi Léopold II et sa famille, l’archiduc Rodolphe, fils de Sissi, le futur Edouard VII d’Angleterre, une des futures impératrices de Russie, …  Dès 1910, Emile Verhaeren sera le précurseur des spectacles d’été en plein air. 

Victor Hugo retourna à son insu dans les ruines de l’Abbaye et plus d’une fois par l’entremise de Patrick Delongrée, pour faire la programmation de son théâtre en plein air qui s’y joue chaque été avec un égal succès. 

En 2003, ce sera “les Misérables”.

Les Misérables à Villers-la-Ville. Une production Del Diffusion. Source: https://deldiffusion.be/
Les Misérables à Villers-la-Ville. Une production Del Diffusion. Source: https://deldiffusion.be

en 2019, jauge Covid, on assiste à une conférence-spectacle sur Victor Hugo et son célèbre ouvrage, Notre-Dame de Paris d’Éric De Staercke.

Villers-la-Ville. Notre Dame de Paris. Production Del Diffusion. source: https://deldiffusion.be/
Villers-la-Ville. Notre Dame de Paris. Production Del Diffusion. source: https://deldiffusion.be/

Et c’est son “Lucrèce Borgia” qui avait été choisi en 2023.

Villers-la-Ville. Lucrèce Borgia. Production Del Diffusion. Source: https://deldiffusion.be/
Villers-la-Ville. Lucrèce Borgia. Production Del Diffusion. Source: https://deldiffusion.be/

A suivre

Bernard Chateau

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