Wautier le Fèvre était-il serf du seigneur Gilles de Carnières ? L’organisation socio-économique du Moyen âge était, on le sait, fondée sur l’existence de deux classes principales, en dehors du clergé : les Seigneurs et les Serfs.

Réduit à l’état de chose, attaché à la terre qu’il était tenu de cultiver, homme de mainmorte, taillable et corvéable à merci, tel était le serf. Au seigneur par contre, les croits sur les fiefs et les personnes. Les choses sont pourtant touiciois moins simples qu’il n’y paraît d’une approche par trop manichéenne, ainsi qu’on va le voir de cette enquête menée en 1318 sur la condition de Wautier le Fèvre, que Gilles de Carnières prétendait être son serf.


1318. Wautier le Fèvre décède. Sa veuve, Ysabiaux prétend que son défunt mari était sainteur de l’Abbaye ce Lobbes. Gilles de Carnières, qu’il était son serf. C’est qu’il entendait, l’affaire est ciaire, bénéficier de l’institution de la mainmorte qui lui permettrait de voir la succession ce Wautier lui être dévolue, au moins en partie. Un procès s’ouvre, dans le but de vider le litige.

Ysabiaux est, sur ce point, inflexible: Wautier, sur son lit de mort, lui a affirmé qu’il n’était le serf de personne, ni de Gilles de Carnières, ni d’aucun autre seigneur.

C’est alors un long défilé de témoins qui commence, appelés par les gens du seigneur, Alard Sonchiel et Gilles de Biaufort, lequel est receveur des mainmortes.

Alars Barbenis, âgé de 70 ans, dépose d’abord. Ensuite, ce sont Jehans Potias, €0 ans, Alis le Streline, 50 ans, Colars le Fèvre, 40 ans, Jehans Hennons, d’Anderlues, 58 ans, Gérard d’Obais, de Carnières, 50 ans, Wautier de le Val, âgé de 50 ans, qui témoignent. Mesire Jehans, curé de le Val, dépose en dernier lieu, avant que Ysabiaux ne soit rappelée à la barre.

Tous ces témoins sont, on le voit, relativement âgés le plus jeune a quarante ans, le plus âgé plus de soixante-dix.

Au fil des témoignages, des certitudes sont établies, mais bien des points demeurent obscurs…

Ce qui est certain en tout cas c’est qu’une femme, du nom de lerembourch, s’est offerte en servage au seigneur de Carnières, devant témoins, alors qu’elle était démunie de tout, de manière à recevoir en l’hôtellerie de Carnières le gîte et le couvert.

Ce qui est encore certain c’est que cette femme a confirmé, sur son lit de mort, son état de servage. Que ce soit devant le curé de Carnières ou non, l’affaire est d’un intérêt secondaire.

Ce qui est certain aussi, c’est que l’état de Wautier était contesté de son vivant-même, et qu’un incident assez sérieux l’opposa à un de Carnières, sur la route de Binche, entre Ressaix et Leval, sur la question, lui prétendant qu’il avait été fait sainteur de Saint-Pierre de Lobbes, les de Carnières entendant conforter toujours l’idée du lien de servage…

Pour le reste, les témoignages sont imprécis, vagues, incertains…

Ysabiaux était-elle la mère de Wautier ? C’est peu probable.

Etait-elle la sœur de Hawis la Noire, serve des de Carnières et mère de Wautier ?
C’est possible.

Qu’en était-il de Bauduin Tiestart, frère de Wautier par sa mère ? Il n’est pas exclu qu’il était serf… Le père de Bauduin? D’après Gérard d’Obais, il était serf.

Alors ?

La situation n’est pas éclaircie par toutes ces déclarations. Sans doute, il paraît que l’origine de Wautier, selon toutes les probabilités, est serve. Mais l’affirmation de sa veuve est qu’il a été fait sainteur et non qu’il eût été d’extraction libre…

Or, le 14 août 1315, Jehans de Carnières a fait sainteur de Saint-Pierre de Lobbes un certain… Wautier, dit le Fèvre, par lettre scellée. Reste à savoir si ce Wautier-là est bien celui dont il est question ou si, au contraire, comme on l’a supposé, ou comme on a voulu le croire ou le faire croire, il s’agit du frère germain de feu le Fèvre, époux de dame Ysabiaux…

Cette histoire est intéressante à plus d’un titre.

D’abord en soi, elle a un parfum de chronique judiciaire, elle en a le suspens et on peut gager qu’elle pourrait sinon susciter les passions, à tout le moins alimenter les conversations, chacun, selon sa nature, prenant tel ou tel parti.

Au-delà, cette histoire est symptomatique d’une époque, mais en en bousculant les idées reçues.

D’abord, il est clair que l’état de serf n’était pas une évidence: à preuve, on en débat. Ensuite, il est tout aussi clair que ce n’était pas un état forcément définitif : à preuve, on en sort. Mais à preuve aussi, on y entre, de manière volontaire, strictement parlant, même si c’est poussé par la misère.

Enfin, et c’est le fait le plus important sans doute, on en débat. C’est-à-dire que le Prince n’est pas cru sur sa seule parole et qu’il accepte la contradiction…

Bernard CHATEAU.


BIBLIOGRAPHIE
L’enquête : Archives de l’Etat à Mons; archives seigneuriales; Carnières, rouleau de parchemin.
La lettre : Archives de l’Etat à Mons; archives seigneuriales; Carnières : copie simple sur parchemin ; écriture contemporaine.


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